Notes du traducteur
L’Institut National du Bitcoin (INBi) poursuit sa série de traductions d’analyses publiées par le Digital Asset Research Institute (DARI). Après avoir réfuté, avec deux premiers articles, les idées reçues sur la consommation d’énergie et l’impact sur le réseau du minage, ce troisième volet s’attaque à un argument devenu récurrent : les prétendus « déchets électroniques » générés par les équipements de minage (les ASIC).
L’article retrace la genèse de ce mythe – née d’un commentaire non revu par les pairs en 2021 – puis confronte ces assertions aux données empiriques :
- les ASIC ne contiennent pas de métaux toxiques et se recyclent à profit ;
- leur durée de vie réelle dépasse cinq ans, soit près de trois fois celle d’un smartphone ;
- en fin de cycle, ils remplacent avantageusement des équipements énergivores (bancs de charge) ou servent de chauffages auto-financés.
Ces résultats, corroborés par les dernières recherches du Cambridge Centre for Alternative Finance, montrent que le minage de Bitcoin n’apporte qu’une contribution négligeable au flux mondial de déchets électroniques.
En publiant cette traduction, l’INBi entend corriger un récit biaisé et offrir au public francophone une synthèse rigoureuse : accoler le fardeau des déchets électroniques au minage de Bitcoin relève plus de la désinformation que du constat scientifique. Notre objectif demeure inchangé : fournir aux décideurs, aux médias et aux citoyens des analyses solides pour éclairer le débat environnemental autour de Bitcoin.
Lien vers l’article original sur le site du DARI :
https://www.da-ri.org/articles/trashing-the-bitcoin-e-waste-myth-2
Cet article est la version révisée d’un article publié sur The Bitcoin Adoption Forecast.
Il est désormais clair que le minage de Bitcoin relève de la greentech. La quasi-totalité des études académiques évaluées par les pairs reconnaissent déjà ses bénéfices environnementaux.
Tandis que le reproche de « surconsommation » s’est peu à peu dissipé, les détracteurs ont brandi un nouvel épouvantail : les supposés déchets électroniques générés par les machines de minage (ASIC) en fin de vie.
Cette accusation n’est guère plus fondée que la précédente ; elle n’avait simplement pas encore été réfutée — c’est désormais chose faite.
Le Cambridge Centre for Alternative Finance vient de publier un rapport très exhaustif sur l’industrie du minage d’actifs numériques montrant que seule une faible fraction d’ASIC est mise au rebut chaque année et que, dans 90 % des cas, ces machines sont recyclées, revendues ou réemployées.
Les travaux récents du DARI aboutissent au même constat : le minage de Bitcoin produit très peu de déchets électroniques. Les ASIC restent rentables bien plus longtemps qu’on ne l’imaginait, tandis que les mineurs sont fortement incités à prolonger leur usage ou à les recycler. Corroborées par l’étude de Cambridge, ces conclusions offrent la preuve la plus solide à ce jour que l’empreinte « e-waste » de Bitcoin demeure marginale à l’échelle mondiale.
Aux origines du mythe
Pour appréhender la réalité de la question des déchets électroniques de Bitcoin, il faut d’abord revenir à la source du mythe.
En mai 2018, Alex de Vries, employé de la Banque centrale néerlandaise, publie un « commentaire » de cinq pages intitulé « Bitcoin’s Growing Energy Problem ». L’article ne traite pas des déchets électroniques ; il inaugure toutefois une nouvelle façon de calculer l’empreinte du réseau : ramener sa consommation de ressources au nombre de transactions effectuées.

Trois ans plus tard, de Vries applique cette même logique aux déchets électroniques dans « Bitcoin’s Growing eWaste Problem ». C’est là que naît le fameux récit selon lequel les machines de minage, arrivées en fin de vie, deviendraient un fléau pour la planète.
Il est utile de rappeler qu’un « commentaire » n’est pas une étude scientifique, mais une tribune d’opinion académique : l’auteur y expose sa thèse sans apporter de nouvelles données empiriques. Les commentaires sont par ailleurs limités dans le nombre de références qu’ils peuvent citer, de sorte que ce type de publication peut formuler des affirmations invérifiables faute de traçabilité des sources.
La thèse centrale défendue par de Vries est simple : « En mesurant la consommation d’énergie par transaction, on démontre que Bitcoin ne peut pas changer d’échelle sans faire exploser ses émissions. »
Son texte connaît un écho retentissant. Alors qu’en 2017 un seul article traitait de la consommation énergétique de Bitcoin, plus de 400 paraissent en 2018, reprenant directement — ou par citations interposées — les conclusions biaisées du commentaire initial.

Problème : la consommation d’énergie de Bitcoin n’est pas dictée par le nombre de transactions. Le réseau pourrait en traiter mille fois plus sans augmenter sa dépense énergétique. Une étude de chercheurs du Cambridge Centre for Alternative Finance qualifie justement cette mesure par transaction « d’indicateur dénué de sens ».
Mais les médias et d’autres auteurs ont continué à le citer malgré tout. Puis les régulateurs, les banques centrales et les ONG s’y sont mis à leur tour.
La métrique par transaction a été réfutée à quatre autres reprises, cette fois dans des revues académiques (Masanet et al. 2018, Dittmar et Praktiknjo 2019, Sedlmeir et al. 2020 et Sai et Vranken 2024). Mais la vérité ne fait pas le poids face à une « bonne histoire » : l’indicateur a non seulement continué de se diffuser, il a même muté.
Au total, la mesure « énergie par transaction » de de Vries s’est ramifiée en trois variantes :
- les émissions par transaction ;
- l’empreinte hydrique par transaction ;
- les déchets électroniques par transaction.

La réalité
Que deviennent réellement les machines de minage lorsqu’elles atteignent la fin de leur durée d’utilisation optimale ?
Disons-le : les déchets électroniques constituent un enjeu écologique majeur. Le problème ne tient pas seulement à l’espace qu’ils occupent dans les décharges ; c’est surtout la présence fréquente de substances toxiques, comme le lithium et le cadmium. L’UNICEF a montré, par exemple, que les déchets électroniques des smartphones, l’une des principales sources mondiales, peuvent nuire à la santé des enfants dans les pays en développement.
Parce qu’il s’agit d’un sujet sensible, il est indispensable d’examiner avec nuance les affirmations concernant le minage de Bitcoin et les déchets électroniques.
Contrairement aux téléphones portables, les mineurs de Bitcoin (ASIC) :
- ne contiennent pas de métaux lourds ;
- peuvent être recyclés facilement et de façon rentable sans finir à la décharge ;
- sont utilisés près de trois fois plus longtemps que la durée de vie moyenne d’un smartphone.

À l’image de l’aberration de la métrique « par transaction » et d’autres erreurs relevées dans ses travaux précédents, l’article de de Vries souffre d’une faille majeure : l’âge supposé auquel les équipements de minage atteignent leur fin de vie.
Premièrement, de Vries affirme que les machines de minage ne fonctionnent que 1,12 à 2,15 ans, sans fournir de justification empirique. Or, la durée de vie d’un ASIC de dernière génération (série S19) dépasse 5 ans. Les hypothèses de de Vries sont donc sous-estimées d’au moins 132 % à 346 %.
Plus encore, il apparaît que, dans la grande majorité des cas, les machines de minage ne deviennent pas de véritables déchets. Oui, vous avez bien lu : parler de déchets électroniques à propos du minage est un oxymore.

Il n’y a pratiquement aucun intérêt pour une entreprise de minage à jeter ses machines ASIC à la décharge. Et pour cause : contrairement à tant d’autres déchets électroniques, il est rentable de les recycler. Cela peut même rapporter des crédits carbone. Par exemple, Hut8, une entreprise cotée en bourse, a obtenu 7 500 crédits carbone grâce au recyclage récent de ses déchets électroniques.
De même, ERS, une entreprise mondiale de réutilisation et de recyclage d’équipements électroniques qui a des contrats avec cinq des onze plus grandes sociétés de minage de Bitcoin au monde, a confirmé que les machines en fin de vie sont bel et bien recyclées par ces sociétés. ERS indique également que la plupart des grands opérateurs « sont disposés à mettre en place une stratégie durable pour traiter les machines de minage jugées obsolètes ».
La raison est la même que celle pour laquelle les entreprises de minage utilisent généralement des sources d’énergie renouvelables : il est tout simplement plus rentable de faire ainsi. Les sociétés de minage touchent une part des bénéfices tirés de la vente de matériaux destinés au recyclage.
C’est par ailleurs un processus rapide. En novembre 2023, le recyclage par Hut8 de 369 tonnes de déchets électroniques n’a pris qu’un peu plus de trois semaines. Il s’agissait principalement de mineurs ASIC hors d’usage, mais aussi des cartes de hachage, des câbles et divers composants. Tout a été revendu pour réemploi ou recyclé ; rien n’a fini en décharge.
Si le matériel de minage se recyclent mieux que la plupart des appareils électroniques, c’est d’abord parce que leur châssis est en aluminium ou acier recyclable, ensuite parce que leurs circuits recèlent des métaux précieux aisément extraits et réutilisés.
Même les processeurs sur les cartes de hachage sont recyclables en raison de la nature des composants qui les constituent. Ils peuvent contenir de l’argent, de l’or, de l’acier, de l’aluminium ou du nickel.
Surtout, les machines de minage ne contiennent pas les métaux toxiques que l’on trouve habituellement dans les appareils électroniques grand public. Le composant le plus polluant est le plastique des ventilateurs.
Lors du traitement, les cartes de hachage sont pris en charge spécifiquement. L’or et les autres métaux précieux sont récupérés, ce qui reste est pulvérisé en une poudre fine pour être valorisé par la suite. Les plastiques ou la fibre de verre (ou un mélange des deux) restant sur la carte sont ensuite envoyés vers des fonderies et affineurs certifiés. Et comme l’industrie adopte progressivement le refroidissement par immersion, le recours aux ventilateurs — et donc au plastique — est appelé à disparaître.
Enfin, les nouvelles techniques de tri nano-assistées par IA permettent désormais d’identifier certains matériaux au niveau moléculaire, afin d’améliorer le tri dans le recyclage industriel ainsi que dans le recyclage des équipements électroniques (le principal avantage concerne le tri des plastiques, mais cette technique peut s’appliquer dans de nombreux autres domaines).
Que deviennent les machines de minage en fin de vie ?
Même si les ASIC se recyclent très bien, ils restent productifs beaucoup plus longtemps que ne le prétend de Vries.
Contrairement à la plupart des appareils électroniques, ces machines trouvent souvent une seconde vie : une fois retirées des racks, elles sont réaffectées à d’autres usages.
Ainsi, cinq ou six ans après leur mise en service, les sociétés de minage continuent fréquemment d’exploiter leurs équipements avant d’envisager le recyclage.
En 2021, Nic Carter a observé que lorsque les entreprises de minage achetaient les nouveaux modèles S19 — plus coûteux et donc achetés pour fonctionner avec le taux d’utilisation le plus élevé possible — elles redéployaient souvent leurs anciens S9 vers des sites alimentés par des énergies renouvelables intermittentes, comme le solaire ou l’éolien.
L’idée est simple : cette électricité excédentaire est souvent bon marché, voire gratuite ou à prix négatif. Il est donc rentable de faire tourner de vieux S9, moins puissants, plutôt que de limiter une machine neuve à dix heures de fonctionnement par jour.
Les sources intermittentes sont idéales pour des équipements déjà amortis : ils peuvent miner lorsque l’énergie solaire, éolienne ou l’hydroélectricité saisonnière deviennent disponibles à très bas coût.
Aujourd’hui, les opérateurs réaffectent encore des S17 et même des S19 pour remplacer les S9 utilisés au cycle précédent. Les S9 sont désormais en cours de recyclage, dans certains cas plus de huit ans après leur lancement mi-2016. Les appareils eux-mêmes, ou leurs cartes de hachage une fois le boîtier recyclé, sont souvent utilisés comme chauffages domestiques ou de bureau qui s’autofinancent grâce au minage.
Et il existe encore une autre utilisation possible pour les anciennes machines de minage : elles peuvent servir de bancs de charge. Ces derniers sont probablement les seuls équipements jamais conçus dans l’unique but de gaspiller de l’électricité.
Il arrive que les producteurs d’électricité renouvelable doivent réduire brutalement leur puissance ; arrêter les turbines ou les panneaux à la volée use prématurément les installations. Pour éviter cette contrainte, ils dévient souvent le surplus vers un banc de charge, un appareil qui ne fait qu’engloutir l’énergie excédentaire en la dissipant sous forme de chaleur.

Un banc de charge de 500 kW coûte 28 490$ et représente un casse-tête en matière de déchets électroniques plus épineux que n’importe quel ASIC. Remplacer ces bancs par d’anciens mineurs revient moins cher, limite l’impact environnemental… et permet, en prime, de miner quelques bitcoins.
En résumé
Accuser le matériel de minage Bitcoin de générer des déchets électroniques relève du pur enfumage. En réalité, ces machines sont probablement les seuls équipements électroniques à ne poser aucun véritable défi en matière de déchets.
Contrairement aux appareils grand public, il :
- dure beaucoup plus longtemps ;
- ne contient pas de composants toxiques ;
- peut se substituer à d’autres équipements énergivores, même une fois « à la retraite » ;
- peut être recyclé facilement et de manière rentable, sans aucun résidu à mettre à la décharge.
L’histoire du minage de Bitcoin montre qu’il est possible d’aligner naturellement incitations économiques et « bonne conduite ».
Parce que 80 % des coûts opérationnels de ces entreprises sont consacrés à l’électricité, et que l’électricité la moins chère aujourd’hui provient d’énergies excédentaires et renouvelables, les mineurs de Bitcoin recherchent activement ces énergies inexploitées.
Parce que les machines de minage plus anciennes peuvent encore miner Bitcoin de façon rentable lorsque les prix de l’électricité deviennent très bas voire négatifs, elles contribuent à équilibrer les réseaux confrontés à une surabondance d’énergie, tout en incitant les entreprises de minage à garder leurs anciens appareils en fonctionnement le plus longtemps possible.
Parce que les équipements de minage sont faciles et rentables à recycler, les sociétés sont encouragées à les apporter chez des recycleurs spécialisés plutôt qu’à les envoyer à la décharge une fois en fin de vie.
La différence de perception quant à la durabilité environnementale de Bitcoin tient, au fond, au temps que chacun accepte de consacrer au sujet.
Ceux qui ne sont pas disposés à étudier le fonctionnement du minage de Bitcoin et de ses mécanismes d’incitations économiques continueront de s’appuyer sur des commentaires pseudo-scientifiques et sur des articles de presse qui les relaient sans le moindre regard critique.
À l’inverse, quiconque se penche sérieusement sur le sujet découvre une multitude d’incitations intrinsèques qui encouragent des comportements vertueux d’un point de vue environnemental. Et rien de tout cela n’a besoin d’être imposé ou promu par une quelconque autorité.
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