C’est avec étonnement que nous avons découvert l’intérêt soudain du Crédit Agricole pour les décibels des campagnes texanes. Dans son rapport « Bitcoin, les fermes de la discorde », la banque décrit des scènes dignes d’un roman noir : vivre près d’une ferme de minage de bitcoins reviendrait à « vivre derrière un jet, moteur en marche sur le tarmac », dans « un enfer pavé de microprocesseurs s’étalant sur 26 terrains de football » où « l’industrialisation rugissante » est responsable « d’une cicatrice profonde ».
Bitcoin : Beaucoup de bruit pour rien ? C’est ce que la banque voudrait nous faire croire.

En conclusion de son rapport, le Crédit Agricole lance même un avertissement solennel : « La France devrait en prendre note et ses décideurs en tirer d’ores et déjà des enseignements » alors que s’amorce enfin chez nous le débat sur l’opportunité du minage de Bitcoin [1].
Pour l’INBi, il est urgent que les décideurs français se saisissent, sans idées reçues, des bénéfices économiques et techniques que le minage de Bitcoin peut offrir à notre pays. Plutôt que de céder aux discours alarmistes, cherchons ensemble à discerner le signal au milieu du bruit afin de tirer pleinement parti de cette opportunité stratégique.
Le changement de narratif
Il n’y a pas si longtemps, les critiques du bitcoin, dont le Crédit Agricole a toujours fait partie, concentraient leurs attaques sur la consommation énergétique du réseau. Le réseau Bitcoin était caricaturé en « monstre climatique » gourmand en électricité.
Or, ce narratif s’effondre à mesure que la science progresse. Depuis deux ans, la communauté scientifique publie étude après étude sur les externalités positives du minage de Bitcoin : stabilisation des réseaux électriques, flexibilisation de la demande, valorisation des surplus d’énergie renouvelable, réduction des émissions de méthane, etc.. C’est désormais une vingtaine d’études académiques revues par des pairs qui documentent les avantages environnementaux du minage de Bitcoin [2].
Difficile, dès lors, de continuer à présenter le Bitcoin comme un désastre écologique. Les faits ont fait évoluer le débat alors qu’on commence tout juste à réaliser que le minage de Bitcoin peut accélérer la transition énergétique en servant de consommateur flexible pour l’énergie peu carbonée excédentaire.
On observe alors des tentatives de glissement de terrain dans la rhétorique anti-Bitcoin. Hier, la banque dénonçait la consommation électrique ; aujourd’hui, alors qu’il est clair que les réseaux électriques ont besoin d’un consommateur énergivore interruptible, le Crédit Agricole tente de s’offusquer du bruit.
L’ennemi public numéro 1 ne serait plus le kilowattheure mais le décibel.
Pourquoi ce glissement ? La logique en filigrane est limpide : le but n’est pas de protéger l’environnement ou la population, mais de continuer à attaquer une technologie dérangeante sous un angle ou un autre. Si demain le bruit ne fait pas assez de bruit, gageons que le Crédit Agricole attaquera différemment.
Cette évolution du narratif en dit long sur la mauvaise foi de certains acteurs. Plutôt que de reconnaître les bénéfices démontrés, on préfère changer de cible. Preuve que l’opposition n’est pas guidée par les faits, mais par un agenda.
Une stratégie défensive d’une banque face à une technologie désintermédiatrice
Au-delà des considérations de bruit, une question s’impose : pourquoi une banque, le Crédit Agricole, s’intéresse-t-elle tant à discréditer Bitcoin ? Après tout, le vacarme texan n’entre pas vraiment dans le champ d’activité d’une banque française, non ?
La réponse apparaît dès lors qu’on se rappelle la nature profonde de la découverte de Satoshi Nakamoto : une monnaie numérique décentralisée qui permet des transactions de pair à pair sans intermédiaire financier. Dit autrement, Bitcoin désintermédie le système bancaire traditionnel. Il concurrence la fonction même que remplit une banque depuis des siècles : servir d’intermédiaire de confiance pour stocker et transférer de la valeur.
Si les citoyens adoptent Bitcoin, le rôle central des banques dans l’économie s’effondre. Moins de dépôts, moins de commissions, moins de contrôle sur les flux de capitaux. Une technologie qui « coupe le banquier du circuit » ébranle le monopole financier en place. Le Crédit Agricole le sait.
De plus, Il est assez ironique de voir la banque se poser en chevalier blanc des nuisances sonores. On ne l’a pas entendue avec autant de véhémence sur le bruit des autoroutes, des aéroports ou des autres industries qu’elle finance. Ce vacarme soudain du Crédit Agricole est donc moins altruiste qu’il n’y paraît, d’ailleurs personne n’est dupe : il est le cri d’alarme d’un acteur établi face à une innovation qui le bouscule.

Il existe pourtant une façon bien plus intelligente et constructive pour une banque d’aborder Bitcoin. Au lieu de dépenser son énergie à tenter de le discréditer, elle pourrait au contraire chercher à la comprendre et à l’intégrer stratégiquement à son offre de services financiers. C’est précisément ce que fait la VR-Bank Bayern Mitte, une banque régionale allemande, en proposant désormais à ses clients un service sécurisé d’achat et de conservation en propre de leurs bitcoins. Le Crédit Agricole gagnerait sans doute à méditer cet approche pragmatique qui transforme une menace en opportunité, au lieu d’alimenter inutilement un débat bruyant mais stérile [3].
L’hypocrisie climatique du Crédit Agricole
Selon le rapport de 2024 Banking on Climate Chaos, une étude réalisée par un consortium d’organisations internationales, le Crédit Agricole figure parmi les plus grands financeurs de l’industrie des énergies fossiles au monde.
Rien que sur la période récente 2021-2023, les quatre grandes banques françaises (Crédit Agricole, BNP Paribas, Société Générale, BPCE) ont financé l’expansion des hydrocarbures à hauteur de 67 milliards de dollars. Dans ce quatuor, le Crédit Agricole se distingue avec 17 milliards de dollars alloués aux nouveaux projets pétro-gaziers [4], soit le deuxième plus gros soutien français à l’expansion fossile.
Pendant qu’il nous parle des bitcoins sales qui font du bruit, le Crédit Agricole alimente massivement le moteur du changement climatique en finançant pipelines, forages, centrales au gaz et autres infrastructures à hautes émissions.
La banque prétend défendre les riverains de Granbury incommodés par une usine de minage ? Qu’en est-il des riverains de nos centrales à gaz de pointe, financées pour pallier les intermittences du réseau électrique ? Pour assurer la pointe de consommation lors des pics de demande, on allume des turbines à gaz très émettrices. Ces centrales de pointe sont bruyantes, coûteuses, polluantes… mais elles font partie du mix électrique que le Crédit Agricole finance volontiers [5].
Or, ironie du sort, cette flexibilité de réseau que procurent aujourd’hui les centrales à gaz peut être fournie, sans émissions, par le minage de Bitcoin. C’est précisément ce que montrent les nouvelles études et l’expérience de terrain : coupler la production peu carbonée à du minage de Bitcoin permet de stabiliser le réseau et de se passer de centrales de pointe au gaz .
Au Texas, les mineurs de bitcoin ont déjà prouvé leur utilité : en modulant instantanément leur consommation, ils équilibrent l’offre et la demande d’électricité en temps réel. Résultat : ils ont évité la construction de coûteuses centrales à gaz de secours. En fournissant 3 GW de capacité flexible au réseau texan, le minage a rendu inutile le projet de 8 centrales de pointe que comptait bâtir Berkshire Hathaway Energy (BHE), pour un investissement de 18 milliards de dollars. Autrement dit, les mineurs texans ont fait économiser des milliards aux consommateurs en prévenant l’installation de nouvelles unités fossiles.
Comment a réagi Berkshire Hathaway Energy (BHE), filiale du célèbre conglomérat de Warren Buffett ? en faisant du lobbying intense pour freiner le minage de Bitcoin. BHE a tenté de convaincre les législateurs texans de « couper les ailes » du minage en matière d’effacement, espérant ainsi remettre en selle son projet de centrales au gaz de pointe. La manœuvre est claire : empêcher Bitcoin de fournir de la flexibilité, afin de préserver le besoin en centrales fossiles traditionnelles. Les intérêts privés passent avant l’intérêt collectif. BHE continue de promouvoir ses centrales « nécessaires en cas d’urgence » malgré les analyses du gestionnaire de réseau et la recherche revue par les pairs qui démontrent que ces centrales ne sont pas nécessaires quand on dispose de plusieurs gigawatts de charge flexible apportée par le minage de Bitcoin [6].
Est-ce que cette affaire récente est le miroir de l’attitude du Crédit Agricole ? BHE voulait vendre ses centrales à gaz ; le minage les a rendues obsolètes ; BHE attaque le minage. Le Crédit Agricole finance des énergies fossiles et voit d’un mauvais œil une technologie monétaire concurrente ; le minage menace indirectement certaines de ses opportunités ; il attaque le minage en le caricaturant comme un fléau sonore.
Dans les deux cas, un acteur traditionnel, mis en défaut par l’innovation, choisit la voie de la peur et du dénigrement pour tenter de défendre sa rente.
Parlons enfin sérieusement du bruit
Venons-en au cœur du sujet soulevé par le Crédit Agricole : le bruit engendré par les fermes de minage de bitcoins. Reconnaissons-le sans ambages : oui, le minage fait du bruit, et ce bruit doit être pris en compte et atténué. Sur ce point, personne ne dira le contraire, y compris les mineurs.
D’ailleurs, le rapport du Crédit Agricole admet que l’industrie peut s’adapter : « les mesures sonores de l’industriel confiées à un cabinet indépendant assurent que les nuisances sonores sont […] inférieures à 50 dB au delà (de la clôture), un seuil considéré comme audible, mais modéré et généralement non gênant. ».
Autrement dit, après avoir expliqué pendant 5 pages à l’aide de superlatifs que le minage était responsable d’une « cicatrice profonde », l’auteur du papier reconnait lui-même que le problème est facilement résoluble.
Plutôt que de hurler à l’apocalypse acoustique, voyons quelles solutions concrètes existent et sont déployées pour maîtriser le bruit :
- Refroidissement par immersion : Il s’agit d’immerger les machines de minage dans un fluide diélectrique (non conducteur) qui dissipe la chaleur. Cette technique permet de supprimer purement et simplement les ventilateurs, qui sont la principale source de bruit. Les ingénieurs ont constaté que « le retrait des ventilateurs et la densité du fluide éliminent pratiquement le bruit ». En d’autres termes, un ASIC plongé dans son bain d’huile spéciale devient quasiment silencieux. De plus en plus de mineurs se tournent vers cette solution haute performance pour des raisons à la fois de rendement et de réduction sonore.
- Barrières acoustiques et insonorisation : Comme toute installation industrielle, les fermes de minage peuvent être isolées phoniquement. On construit des murs anti-bruit autour des containers de machines, on ajoute des matériaux insonorisants. Des sites utilisent des caissons et mousses acoustiques, réduisant de 10 à 20 dB le niveau sonore perçu. Parfois, changer un composant suffit : un opérateur a montré qu’en remplaçant le ventilateur d’origine d’un ASIC par un modèle silencieux, il passait de 78 dB à 53 dB – une baisse impressionnante de 25 dB.
- Zonage et éloignement des habitations : La meilleure façon de ne pas gêner un voisinage est encore de s’implanter loin de celui-ci. Les mineurs l’ont compris. Par exemple, la société Bitfarms, après des plaintes sur certains de ses sites, a annoncé qu’elle choisirait désormais des emplacements plus reculés pour ses nouvelles installations. Les autorités locales, elles, peuvent imposer des zonages industriels précis pour le minage, tout comme on le fait pour n’importe quelle usine ou datacenter. C’est exactement ce qui s’est passé dans des comtés américains : adoption de règlements de zonage dédiés, définissant des limites de décibels à respecter en limite de propriété.
- Capteurs sonores et ajustement en temps réel : La technologie permet aujourd’hui de monitorer en continu le niveau sonore d’une installation et d’ajuster son fonctionnement en conséquence. Bitfarms, encore elle, a déployé des capteurs sonométriques couplés à ses systèmes de refroidissement : si le niveau dépasse un seuil, la vitesse des ventilateurs baisse automatiquement pour diminuer le bruit. Ce type d’automatisation garantit que le site reste dans les clous, sans intervention humaine constante. D’autres mineurs intègrent dès la conception des simulations acoustiques afin d’aménager l’orientation des machines, la disposition des baffles, etc. [7].
En résumé, le bruit du minage est un problème technique parfaitement résoluble. Les solutions existent déjà, elles sont éprouvées, et l’industrie est en train de les déployer à un rythme rapide.
D’ailleurs, rappelons que d’autres secteurs énergétiques sont confrontés à des enjeux similaires : les éoliennes, par exemple, génèrent également du bruit, ce qui oblige leurs exploitants à mettre en place des systèmes d’ajustement pour respecter les normes acoustiques locales. Est-ce que le Crédit Agricole prône pour autant leur démantèlement ?
Ce serait exactement comme confondre météo et climat : s’attarder sur un quelque chose de très localisé sans tenir compte du système dans sa globalité.
Derrière le bruit, le signal : le minage de Bitcoin, une opportunité stratégique pour la politique énergétique française
En cette période importante de révision de la PPE3 (programmation pluriannuell de l’énergie), il est crucial pour les décideurs de ne pas se tromper de combat. L’enjeu stratégique, c’est la flexibilité. Avec de tels objectifs de développement des énergies intermittentes, la priorité devrait être de mobiliser tous les leviers de flexibilité disponibles.

Parmi ces solutions de flexibilité, la logique économique [8] et la logique technique [9] voudrait que le minage de Bitcoin soit considéré comme une solution de premier et de dernier recours.
Cette capacité vient du fait que le minage de Bitcoin possède des atouts uniques : très énergivore, mais ultra-flexible et pilotable en temps réel, il peut moduler sa consommation à la seconde pour une durée indéterminée [10].
En enrichissant ainsi notre bouquet de flexibilité, la France pourrait atténuer les modulations excessives imposées à son parc nucléaire et améliorer l’équilibre offre-demande en période de forte production renouvelable ou de faible consommation. Il s’agit d’une approche pragmatique, déjà évoquée par certains responsables publics, qui mérite d’être évaluée sans caricature ni parti pris.
Le véritable sujet du minage n’est ni le décibel, ni le dogme : c’est notre capacité à bâtir une politique énergétique robuste et cohérente. Replacer le minage de Bitcoin dans cette vision plus large, c’est affirmer une ambition qui conjugue réindustrialisation et souveraineté nationale.
La France ne peut se permettre d’écarter a priori un outil susceptible de renforcer la résilience de son système électrique et de servir ses objectifs climatiques et industriels.
Il est temps d’aborder le sujet du minage pour ce qu’il est vraiment : une opportunité stratégique d’enrichir notre bouquet de flexibilité, première étape indispensable pour valoriser nos surplus et donc permettre une baisse du prix de l’électricité pour tous les français.
Il s’agit de bâtir notre indépendance.
[3] https://www.vr-bayernmitte.de/privatkunden/sparen-geldanlage/bitcoin.html
[4] Consortium d’organisations internationales, Banking on Climate Chaos, 13 mai 2024.
[5] Crédit Agricole, Vous accompagner dans la transition écologique. Nos expertises, nos solutions.
[8] Bastien Desteuque, « Le gâchis économique de la modulation nucléaire », INBi, 11 mars 2025.
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